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Les scénarios du HCAAM pour financer les dépenses de santé

Fruit de plusieurs années d’analyses sur les limites actuelles de notre système d’assurance maladie, le rapport du HCAAM a été élaboré suite à la saisine du ministère des Solidarités et de la Santé en juillet 2021. L’objectif est d’apporter aux décideurs politiques un approfondissement technique aux différents scénarios envisagés. Un travail complexe qui repose sur plusieurs constats. Finançant entre 12 et 13 % des dépenses de santé, les assureurs privés et mutualistes occupent dans notre pays une place singulière, par comparaison avec les autres pays occidentaux proches de la France. Le HCAAM résume ainsi cette singularité : l’assurance privée « a une fonction essentiellement complémentaire, elle couvre un pourcentage très élevé de la population et un pourcentage important des dépenses. » Cette situation conduit à des restes à charge très faibles, si on les compare à ceux des autres pays de l’OCDE. Mais au fil du temps et des réformes, des ruptures d’égalité sont apparues : inégalités entre postes de dépenses (les restes à charge sont hétérogènes selon les patients, les dépassements d’honoraires et les motifs d’hospitalisation) et entre différentes catégories de la population (salariés du privé, agents de la fonction publique, retraités, chômeurs…). Les évolutions démographiques génèrent, par ailleurs, des besoins de financement croissants, auxquels le système actuel aura du mal à répondre, selon les auteurs du rapport. Si on prend en compte le coût des primes d’assurance et les cotisations obligatoires, le poids des dépenses de santé dans le revenu disponible des ménages va inévitablement s’alourdir dans les années à venir. Une évolution qui risque d’aggraver encore un peu plus les inégalités sociales ainsi que le risque de désaffiliation auprès des complémentaires, en particulier chez les personnes âgées et les populations non salariées. Face à ces enjeux, le HCAAM estime que le statu quo n’est pas souhaitable, l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaires étant largement « perfectible ».

Un scénario conservateur, trois scénarios de rupture

Le HCAAM a élaboré quatre scénarios d’évolution. Le premier propose des pistes d’amélioration sans transformer l’architecture actuelle du système de financement. Le cadre légal et les équilibres économiques ne sont donc pas remis en question. Les actions qui pourraient être menées concernent, par exemple, les taux de certains tickets modérateurs, qui pourraient être réduits ou augmentés, et ce, afin de mieux répartir les restes à charge après remboursement par l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Autre piste : introduire de la modularité dans la participation financière des patients aux dépenses d’hospitalisation. Des évolutions sont aussi proposées pour limiter le coût de l’assurance santé pour les retraités, les personnes précaires et celles aux revenus modestes qui avancent en âge.

Le scénario n° 2 propose une généralisation progressive de l’assurance santé complémentaire, qui deviendrait obligatoire et universelle. Elle serait donc élargie au 4 % de la population française qui n’en bénéficie pas. Soit le même processus qui a débouché, à partir des années 70, à la généralisation des retraites complémentaires. Cette démarche conduirait à reconnaître l’assurance complémentaire comme « un service d’intérêt économique général », tel que défini dans le droit européen. L’obligation d’assurance porterait sur un panier de soins commun à tous les contrats.

Le 3e scénario repose sur une augmentation des taux de remboursement de la Sécurité sociale afin de garantir une prise en charge complète sur les « besoins de protection commune », c’est-à-dire les dépenses considérées comme nécessaires sur le plan sanitaire. Tous les tickets modérateurs seraient ainsi supprimés et l’intervention des complémentaires fortement réduite car limitée à des « besoins spécifiques », liés à des situations professionnelles ou territoriales particulières. Cette évolution conduirait à un allègement de leurs contraintes règlementaires ainsi qu’à une éventuelle suppression des aides socio-fiscales mises en place pour faciliter l’accès à une complémentaire santé. Conscient de l’impact qu’une telle réforme aurait sur les activités et les effectifs des organismes complémentaires, le HCAAM évoque la mise en place d’un plan complet d’accompagnement et de reclassement des personnels vers des activités de prévoyance ou de courtage par exemple. Une reprise de salariés par les organismes de Sécurité sociale est aussi évoquée. Les auteurs du rapport ont chiffré le coût de cette réforme « radicale » : elle engendrerait une hausse des remboursements de l’Assurance maladie obligatoire d’environ 19 Md€.

Enfin, le dernier scénario propose un « décroisement » entre les domaines d’intervention de l’AMO et des complémentaires. Il s’agirait de répartir clairement les paniers de soins entre les deux profils de financeurs. Comme dans le scénario précédent, les assurances privées ne seraient plus complémentaires mais « supplémentaires ». Une telle réforme conduirait à ce que les soins pris en charge par l’AMO le soient à 100 %. Par défaut, tous les autres soins seraient financés par le secteur privé et mutualiste, remboursés au 1er euro. Cela inclurait l’optique, l’audioprothèse, les soins dentaires (hors paniers du 100 % Santé), les médicaments à SMR faible ou modéré (service médical rendu), le produits d’automédication, les médecines douces… Cette clarification des rôles aurait un coût pour l’Assurance maladie obligatoire, estimée à 2,7 Md€ en cas de déremboursement complet des médicaments à 65 % hors ALD (affection de longue durée). Si ces médicaments étaient intégralement remboursés par l’AMO, le coût pour cette dernière passerait à 11 Md€.

Les auteurs du rapport ne se prononcent pas en faveur d’un scénario particulier. Ils précisent, par ailleurs, que d’autres options pourraient être envisagées, comme la mise en place d’un bouclier sanitaire. Leurs travaux devraient nourrir les débats électoraux, à l’heure où la question du financement de la dépendance revient sur le devant de la scène.